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La grande alchimie des pigments bleus (suite)

Si, en matière de couleurs, ce peintre est surtout connu pour le vert qui porte son nom, l'exposition que la National Gallery de Londres consacre à VÉRONÈSE - Véronèse, la magnificence de la Renaissance à Venise, jusqu'au 15 juin prochain - m'offre l'occasion de compléter ce que j'exposais dans un précédent post à propos de la difficile question des PIGMENTS BLEUS en peinture. 

A propos de ce beau regroupement de quelque cinquante tableaux du grand maître vénitien (1528-1588), le commissaire de l'exposition, Xavier F. Salomon, attire l'attention du spectateur sur les différentes nuances qu'ont pris avec le temps les ciels bleus qu'avait réalisés le peintre. 

C'est avant tout une question d'économie. 
  
• Dans La famille de Darius devant Alexandre comme dans Saint Jean Baptiste prêchant, Véronèse, pour traiter le ciel, a utilisé le smalt, ou "bleu de cobalt". Obtenu à l'origine en teintant de la pâte de verre grâce à du cobalt, puis en la broyant finement, il présente l'inconvénient de se décolorer en une vilaine teinte gris brun (notez que les bleus de cobalt actuels sont des pigments de synthèse de bien meilleure tenue)
Ce défaut est ici particulièrement visible : voyez la couleur des ciels au-dessus et à l'arrière-plan !





 • Dans Le Christ et le Centurion, le ciel est réalisé à l'azurite, minéral de structure cristalline - formule Cu3(CO3)2(OH)2. Proche de la malachite, l'azurite, que l'on trouve notamment en France, a une furieuse tendance à virer au vert, à tel point que l'on conseille aux collectionneurs de pierres de ne pas trop exposer leurs échantillons à la lumière. D'où les orageuses nuances du ciel ci-dessous.
 

• Pour obtenir un bleu intense et durable, il faut à l'époque (un siècle et demi, donc, avant l'invention du bleu de Prusse, voir ICI) recourir au très coûteux lapis-lazuli. C'est lui qui donne le fameux bleu que l'on nomme "outremer". Sa formule, pour le plaisir : (Na, Ca)8(Al, Si)12O24S2 FeS- CaCO3. Les principaux gisements sont situés en au Chili et Russie mais surtout en Afghanistan, d'où on le fait venir à grand frais. Il vaut alors bien  plus cher que l'or. L'outremer est utilisé dès le XIIe siècle - on le retrouve au plafond de la chapelle Sixtine ou sur les robes des femmes peintes par Vermeer. Il est toutefois si onéreux que ce dernier, par exemple, se contente d'en appliquer une fine couche sur un bleu de moindre qualité - smalt ou azurite, justement. Dans Le martyre de saint Georges, Véronèse a utilisé le lapis-lazuli... et son ciel est resté d'un bleu étincelant.


Depuis 1828, l'outremer, comme la plupart des pigments bleus, est produit de façon synthétique. Moins coûteux, il est aussi infiniment moins magique. Et je regrette, sottement, le temps où les peintres travaillant pour l'éternité broyaient avec patience la pierre bleu foncé venue d'au-delà des mers.

Commentaires

  1. C'étaient les élèves des peintres qui broyaient les couleurs. Les maîtres eux enseignaient et travaillaient leurs œuvres. Epoque ou les élèves travaillaient tous les jours à l'atelier, et ou le temps n'avait pas la même valeur.

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    1. Oui, bien sûr. Et ces élèves étaient donc eux-mêmes peintres ou apprentis peintres, comme on le voit quand on lit la vie de certains d'entre eux. Ils ont appris en balayant l'atelier, en fabriquant les couleurs, puis en peignant les ciels, puis les drapés, etc. Et puis pour les meilleurs d'entre eux, ils ont accédé au statut de maître et pris eux-mêmes des élèves... En cela, ils avaient devant eux une éternité de patience.

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  2. Merci pour ce joli cours peinturochimique.... il rend la triste chimie mille fois plus poétique.

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  3. En lisant ton article je pense à "La jeune fille à la perle", le livre de Tracy Chevalier que j'ai beaucoup aimé.

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    1. J'ai adoré ce livre, oui ! Et dans l'adaptation pour le cinéma, il y a une scène qui évoque la fabrication des pigments...
      Pour ça, il faut aussi visiter l'atelier de Rembrandt à Amsterdam.

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    2. Oui moi pareil, j'ai adoré ce livre! Contrairement à toi, je ne regrette pas de ne pas avoir à broyer des pierres, mais je regrette certes de ne pas avoir tout le temps qu'ils avaient pour peindre!!!

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  4. Parce que ce mot réunit à tout jamais ma mère et ma fille, j'adore le lapis-lazuli...
    Quant à la jeune fille à la perle ♥, c'est avec elle que j'ai commencé mon histoire des arts loufoque avec mes élèves... (un jour, en mp, je te raconterai...). Et en plus, dans le film, c'est Colin Firth qui fait l'artiste... ♥♥

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  5. A LA fac cette semaine cours renaissance ..le professeur nous montrait des tableaux magnifiques, en nous citant des couleurs dont les bleus ..de s rouges aussi .et a fini par se retourner pour regarder ce qu'elle nous proposait à l'écran....et a constaté avec horreur que le filtre n'était pas bon et tout était vert et cela jusqu'à la fin du cours!! je pense que cette semaine, elle nous repassera ces diapos avec les bonnes couleurs;;;enfin!PAS toujours facile l'enseignement!!!

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    1. Elle a dû connaître un immense moment de solitude !
      Ah...les rouges et les verts : on a beau dire, appliqués à la peinture de la Renaissance, ce n'est pas la même chose qu'à trois pommes et une bouteille de sirop !

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