Biographie
C’est une randonnée sur les chemins de Compostelle qui lui donne l’occasion de publier, en 2002 aux éditions du Rouergue, son premier livre, Du Puy à Conques par le chemin des pèlerins, carnet de voyage dans lequel se rencontrent ses goûts pour la marche, le paysage, l’histoire, les mots… et l’aquarelle, qu’elle pratique pour son plaisir depuis l’âge de 10 ans. Elle a depuis publié, toujours au Rouergue cinq autres carnets de voyage (Jura, Cévennes, Aubrac, Bourgogne) et deux « carnets d’artiste », Sens et Dijon Carnet d'artiste, portraits en mots et en couleurs de villes qui lui sont chères. Devinettes sans queue ni tête, avec l'illustratrice Sandrine Lhomme, est sorti chez Balivernes en 2014. En tant qu’illustratrice, elle collabore avec plusieurs magazines et elle expose régulièrement.
Revue Terre à Ciel, juin 2022, extrait
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rencontre avec Anne Le Maître, entretien par Cécile Guivarch (début)
Cécile : Chère Anne Le Maître, tu peins, tu écris, tu marches. Tu vois, tu t’émerveilles, tu es en plein dans la vie. Tu vois la vie dans la moindre petite fleur, dans un paysage de montagne, dans les petites bêtes. Qu’apportent la marche et le dehors à ta peinture, à ton écriture, à ton dedans ? Et comment tout cela parvient-il à s’entremêler à ton quotidien ?
Anne : J’ai l’impression que le réel sans cesse me
convoque, me requiert. Tout ce qui demande à être regardé, écouté !
C’est à la fois pour moi un mouvement d’émerveillement et,
véritablement, une invitation – plus encore : une convocation - à la
rencontre. Je ne sais comment l’exprimer mieux que cela.
Il serait inimaginable de ne pas répondre à cette sollicitation, alors
je ne peux que « faire avec », et faire du mieux que je peux.
L’expression qui me vient le plus souvent, quand je pense à ce ma
pratique littéraire et artistique, c’est « porter parole » :
véritablement c’est de cela qu’il s’agit pour moi. Je sais bien que rien
n’a besoin de moi, que je ne suis indispensable à aucun pissenlit, à
aucune rose trémière, à aucune mésange. Mais puisqu’il m’est proposé
d’être un peu plus consciente que la moyenne des gens de leur présence,
de leur « être-là », je n’imagine pas de ne pas en rendre compte. C’est
peut-être d’ailleurs une définition (parmi d’autres) de la poésie.
Je dirais que d’une certaine manière, j’ai organisé au fil du temps ma
vie et mon quotidien autour de cette écoute. Tâchant d’y laisser de
grandes plages de silence, comme on laisserait des friches entre les
champs cultivés pour voir ce qui peut y pousser. C’est une lutte sans
cesse renouvelée tant le quotidien bruyant, accéléré, tente toujours de
vous recouvrir. Mais j’ai cette chance que très vite, si je n’ai pas ces
friches et ces silences, je ne vais plus bien du tout. Il y a un signal
intérieur qu’il s’agit d’écouter, lui aussi...
L'écho magazine (Genève), n°14, 6 avril 2023.article complet à lire ICI.
Dijonnaise ayant grandi à Sens, bercée par les vacances à Pierreclos en Saône-et-Loire, Anne Le Maître eut une enfance choyée par une grande famille et une bande de copains, partant à sept ans déjà en tournée avec sa chorale. À la maison, elle retrouvait le monde de la lecture et du dessin. Histoire de s’occuper.
« Ma maman dessinait bien. Mon grand-père également. Employé, il relevait les compteurs de gaz. » Anne Le Maître s’inscrit dans une lignée tournée vers le livre. Son père, un des grands spécialistes de l’histoire de l’Église au Moyen Âge, en a signé plusieurs dont un sur les invasions barbares. Elle retrouve même trace d’un arrière-grand-oncle fondateur d’un ordre monastique, qui était prêtre et publiait sous pseudonyme des poèmes d’amour.
Anne Le Maître fut cinq ans urbaniste, aiguisant son regard de géographe sur la construction des paysages. « Je voyais autour de moi des gens plus âgés dévorés de l’intérieur par ce métier. » Elle n’insiste pas et partage désormais son temps entre l’enseignement en collège, les élèves de son atelier et l’écriture.
« Le rythme d’une phrase me vient avant les mots. Je lis mes phrases à haute voix. C’est une question de souffle et de musique : écrire va bien avec la marche. » Quitte à éprouver une répulsion physique à la relecture lorsque le style n’est pas parfait.
« J’ai fait de la musique médiévale pendant neuf ans, je dessine toujours en musique. J’ai écrit un livre entier en écoutant uniquement, avec la fonction repeat, le deuxième mouvement du Concerto Empereur pour piano de Beethoven. La musique crée le cercle magique dans lequel je me concentre. »
L’escalade apporte au peintre un espace de décompression, de ressourcement pour créer. Anne Le Maître prépare une exposition pour Cîteaux autour d’une session de travail d’ethnologues et de philosophes, qui servira de support à une réflexion sur la nature et l’homme. « En te confrontant à la nature tu fais connaissance avec toi-même. Tu te vois plus petit et ça, ça calme. » La dimension spirituelle est présente dans son œuvre. Une croyance moderne. « La foi, vécue de façon profondément spirituelle et non comme appartenance à une religion à laquelle il faut obéir, te rend libre. »
Pour Anne Le Maître, comme pour Élisabeth Badinter, la maternité n’est pas une condition de la féminité. « Il y a beaucoup de fécondités, qui ne sont pas que féminines. Je suis extrêmement reliée au monde par mes mots, mes livres, mes aquarelles, mes cours. Un enfant n’aurait pas forcément rajouté grand chose dans l’histoire. »
Des rencontres réelles ou de lecture l’ont encouragée : la voyageuse suisse Ella Maillart disant « Il faut aller voir. » Barbara Kingsolver, Blaise Pascal, Nicolas Bouvier. Des rencontres avec des moines et des moniales. « Il y a quelque chose de la vie monastique dans la vie d’un écrivain. »
« Je trouve ignoble qu’une femme en voyage soit plus vulnérable qu’un homme. Je trouve injuste que l’on soit soumise à cette peur de l’agression sexuelle, mais en même temps je la refuse. Si on accepte cette peur, on a tout perdu. J’ai fait 3 000 km à pied seule en France pour un nombre incommensurable de belles rencontres. Ça vaut la peine de prendre ce risque. Le monde n’est pas un terrain de jeu. C’est une vision masculine. Le monde est un lieu de rencontres, bonnes ou mauvaises. Si tu parles avec d’autres aventurières, comme Karine Meuzard, elles te diront la même chose. »
Quand ses élèves lui avouent écrire eux aussi, Anne Le Maître les encourage. « Personne n’est dans une case et chacun peut faire ce qu’il veut. Il ne faut rien s’interdire sous prétexte que les gens te mettent des étiquettes. Tu es prof, ou tu es une femme, une intello, une sportive… Tout est faux et tout est vrai à la fois. J’adore l’escalade, et j’adore le tricot. » .